La gestion de l'eau en héritage. Le baoli, puits à degrés en Inde
- Flo Travels
 - 22 avr.
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Dernière mise à jour : 23 avr.

Chef-d’œuvre d’architecture, le baoli, puits à degrés en Inde, est presque invisible, dissimulé sous la surface du sol. C’est une sorte de pyramide inversée très large en surface et qui s'étrécit à mesure qu’elle s’enfonce dans la terre. Des volées de marches permettent de descendre dans les profondeurs, jusqu’à atteindre la nappe phréatique qui, suivant son niveau, submergera progressivement les escaliers à mesure que les pluies rempliront la structure.
Le baoli, puits à degrés en Inde, témoin moribond de traditions ancestrales
Les premiers puits à degrés apparaissent principalement en Inde aux environs de l'an 600 de notre ère. La fonction première du "baoli" (ou baori ou vav suivant la région et la langue) est de récupérer l'eau de pluie. Ainsi stockée, elle pourra être utilisée pour boire, se laver et irriguer, tout particulièrement pendant les périodes de sécheresse quand la précieuse ressource vient à manquer.
Au fil du temps, ces étonnants réservoirs au milliers de marches pour certains, voient leur fonction essentielle de collecte et stockage d'eau se transformer. Cruciaux sur les routes commerciales d'antan, la vocation des puits à degrés devient religieuse et sociale. Ils sont temple hindou, retraite ombragée pendant les mois d'été, lieu de rassemblement ; leur construction est ordonnée par des rois ou des mécènes pour témoigner de leur richesse ou en acte de réelle bienveillance envers la population locale, d'autres sont commandités par des femmes en mémoire de leurs mari ou fils décédés.
Pendant plus de 1500 ans, l'apogée se situant entre les XIe et XIIIe siècle, les puits à degrés ont été au centre des villes et des villages, présence rassurante et source d'eau fiable pour les populations locales. Bien entretenues, les structures, dotées de vastes plateformes, balcons, et parfois de chambres souterraines, offraient des lieux de repos frais et confortables aux villageois (notamment aux femmes), aux voyageurs et à leurs caravanes.
Puis vinrent les Britanniques, maîtres de l'Inde à partir de 1757, qui ne virent dans ces ouvrages qu'insalubrité et source de maladies. Ils commandèrent leur assèchement, leur recouvrement, et même leur destruction ! Dès la fin des années 1800, les baolis furent graduellement délaissés et tombèrent dans l'oubli, servant parfois même de dépotoir.



Redécouverte et restauration de chefs-d'oeuvre en péril
Aujourd'hui, Stepwell Atlas recense plus de 3000 puits à degrés à travers le sous-continent. Conception ingénieuse, le style diffère de mille façons : ils sont linéaires, carrés, en L ou ronds. Ils sont construits en pierres, en briques ou en gravats ; ils sont à échelle humaine ou carrément énormes ; ils sont couverts de sculptures ou totalement démunis de décors ; mais surtout, il n'en existe pas deux semblables.

Redécouverts et restaurés, les plus remarquables de ces baolis figurent sur la liste des sites majeurs du patrimoine et sont ouverts à la visite. Parfois ornés de colonnes, de sculptures et d'arches, leurs escaliers géométriques plongeant vers le profondeurs offrent un spectacle unique où l'ombre et la lumière jouent à cache-cache suivant la marche du soleil. Leur géométrie parfaite et leur symétrie fascinante sont une source d'inspiration infinie pour les architectes et les photographes.

Curiosités typiquement indiennes, nous les incorporons à nos circuits touristiques au Rajasthan. Le Chand baori d'Abhaneri, construit au VIIIe siècle au Rajasthan, est l'un des plus célèbres. Au milieu du village, les quelque 3500 marches de ce puits, réparties sur trois de ses vastes parois et douze niveaux, impressionnent le visiteur jusqu'à l'étourdir. Les escaliers qui descendent dans les profondeurs de la terre, parfaitement symétriques, donnent une impression d'infini.
Le Rani-ki-Vav au Gujarat, merveille d'architecture, est classé au patrimoine mondial de l'Unesco et figure même sur les billets de 100 roupies. Des centaines d'autres ouvrages, répartis partout sur les territoire, restent anonymes, dans le silence, gardiens d'un riche passé et d'un mode de vie ancestral.
Les baolis n'ont pas dit leur dernier mot
Au fil du temps, les forages électrifiés, creusés pour servir une population toujours plus nombreuse, ont fini par assécher les nappes phréatiques. L'Inde se retrouve désorrmais au coeur d'une grave crise de l'eau. C'est la raison pour laquelle plusieurs initiatives menées par les autorités locales, des ONG ou des passionnés tentent de ranimer les ouvrages moribonds. À Delhi, Jodhpur ou Jaipur, un certain nombre d'entre eux ont déjà été remis en état ; ils contribuent à l'irrigation et permettent un approvisionnement régulier en eau potable de dizaines de milliers de personnes.
Nombre d'ouvrages ont été écrits sur les puits à degrés pour vanter leur originalités et leur beauté. Aujourd'hui, ils sont à nouveau au coeur des réflexions des chercheurs qui travaillent sur leur utilisation potentielle et les considèrent comme l'une des meilleures méthodes de stockage et de gestion de l'eau.
"La revitalisation des systèmes traditionnels de gestion de l'eau et la récupération des connaissances locales peuvent aider à résoudre la crise de l'eau pour les communautés contemporaines" (https://www.wmf.org/projects/historic-water-systems-deccan-plateau)
Reste à espérer que ces experts seront entendus et que les baolis, puits à degrés en Inde, merveilles d'architecture et d'ingéniérie hydraulique, reprendront la place centrale qu'ils occupaient autrefois pour la gestion durable des ressources en eau.






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